Article du Professeur Christian Brohet
Depuis le début de la pandémie causée par ce virus Covid-19, nous assistons comme jamais auparavant à l’intervention excessivement médiatisée « d’experts scientifiques » de tous bords. Médecins infectiologues, virologues, épidémiologistes, chefs de laboratoire, officiers de santé publique etc. se succèdent quasi chaque jour sur tous les médias disponibles. Ces experts se sont abondamment exprimés en réponse à diverses questions : réalité et gravité de l’épidémie, caractéristiques et modes de propagation de l’agent causal (SRAS COV-2), définition et application des stratégies de prévention et de traitement…Le moins qu’on puisse dire est que les avis tranchés et parfois contradictoires des experts entre eux et parfois même chez la même personne au fil du temps ont conduit à un échec de la communication, à une épouvantable cacophonie ! Nous n’avons pas de réponse claire et univoque sur un tas de points : utilité réelle des gestes barrières, des mesures de détection et d’isolation des personnes contaminées, localisation des foyers d’infection (les « clusters »), efficacité de divers traitements, etc., etc.
Comment est-ce possible ?
Premièrement, il est humainement explicable que deux experts aient des avis divergents ; cela s’observe fréquemment parmi les experts judiciaires où le tribunal est alors amené à désigner un collège de plusieurs experts pour remettre un avis définitif.
Deuxièmement, parmi tous nos experts, certains ont vraiment une haute compétence dans leur domaine propre, mais ils deviennent nettement moins crédibles quand ils sortent celui-ci. Par exemple, un virologue peut parfaitement décrire les caractéristiques d’un coronavirus, il sera moins assuré s’il s’exprime sur l’évolution future de l’épidémie, qui est plutôt du domaine d’un épidémiologiste.
Troisièmement, on oublie qu’on est ici confronté au « dogme de l’incertitude ». Ce virus inconnu a émergé au tout début de cette année, il s’est comporté de façon très différente des autres coronavirus connus. Donc, être un spécialiste renommé d’autres pathogènes (HIV, Ebola, etc.) ne donne pas la garantie que l’avis donné concernant ce « nouveau » virus Covid-19 soit parole d’évangile !
Quatrièmement, on doit tenir compte de l’effet « Dunning-Kruger ». Il s’agit d’une disposition mentale décrite par deux psychologues en 1995 et qui se caractérise par l’assurance affichée par la personne qui ne maîtrise pas bien le sujet traité. Plus on est ignorant dans un certain domaine, plus on se montre péremptoire dans ses déclarations, car on est inconscient de l’étendue de son ignorance. On appelle aussi cela le « biais de sur-confiance ». Celui qui connaît vraiment le sujet traité aura tendance à se montrer plus nuancé car il connaît les limites de sa connaissance…Méfions-nous donc des prophètes dans le domaine épidémiologique !
Ces considérations sont également valables pour toute communication dans la sphère médicale, y compris en matière de prévention cardio-vasculaire. Il nous faut privilégier les messages précis, clairs et provenant si possible d’un large consensus entre spécialistes de la question. Il nous faut aussi lutter énergiquement contre les tentatives de désinformation, je ne reviens pas sur la question du rôle du cholestérol et de l’efficacité des statines. C’est d’ailleurs la façon dont nous fonctionnons pour rédiger les articles de votre revue « Cœur et artères » : ils sont le résultat d’un accord collectif des divers membres du comité de rédaction.