Article du Professeur Christian Brohet
Pas n’importe quel coronavirus !
La pandémie d’infections virales appelée « Covid-19 » qui nous touche actuellement a comporté un lot d’incertitudes qui sont en train de se dissiper peu à peu. Nous avons acquis une meilleure connaissance des particularités de cette infection, y compris le rôle des facteurs de risque cardiovasculaires comme élément d’aggravation et de mortalité.
Ce nouveau type de coronavirus était au départ considéré certes comme très contagieux, mais relativement bénin (une « grippette » pour certains…) avec beaucoup de patients soit asymptomatiques, soit fort peu malades. Cependant, il est rapidement apparu que, chez une minorité, l’évolution était beaucoup plus grave : principalement atteinte pulmonaire (pneumonie atypique) avec nécessité d’oxygénation, de ventilation assistée en séjour aux soins intensifs où la mortalité s’est avérée très élevée. Mais le plus étonnant fut cette évolution inattendue vers une réaction inflammatoire extrême (tempête cytokinique) avec défaillance de divers organes.
Parmi ceux-ci les atteintes cardiovasculaires et les troubles de coagulation étaient à l’avant plan : embolies artérielles et veineuses (embolies pulmonaires et AVC), syndrome coronarien aigu (infarctus), atteinte inflammatoire du muscle cardiaque (myocardite), troubles du rythme cardiaque avec risque d’arrêt cardiaque (parfois favorisé par un traitement intempestif à l’hydroxychloroquine sans surveillance électrocardiographique adéquate).
Une autre caractéristique de cette épidémie est la façon très inégale dont les pays ont été touchés. Par exemple, en Belgique à ce jour on a recensé 9774 décès pour 62058 cas confirmés, c’est-à-dire 15,7% de mortalité alors que la moyenne mondiale est rapportée comme étant de 3,4%. Par rapport à la population, on dénombre en Belgique 850 décès par million d’habitants alors qu’en Allemagne il n’y a eu que 108 morts par million d’habitants. Plusieurs explications ont été avancées pour essayer d’expliquer ces disparités : fiabilité des statistiques et façon de comptabiliser les décès, préparation à affronter les pandémies, caractéristiques d’âge et différences génétiques entre populations, précocité des moyens de dépistage et de confinement, efficacité de l’infrastructure hospitalière et des services de réanimation…On peut également penser que des différences en ce qui concerne les facteurs de risque et maladies cardiovasculaires peuvent entrer en ligne de compte.
Attention aux facteurs de risque cardiovasculaire !
On s’est rapidement aperçu de l’importance des facteurs d’aggravation. En tout premier lieu, l’âge : les taux de morbidité et de mortalité sont nettement supérieurs chez les seniors, surtout les plus de 65 ans, encore plus chez les octogénaires. Ensuite, la gravité de la maladie est accrue chez les personnes avec facteurs de risque cardiovasculaire et comorbidités. On retiendra surtout ceux-ci : hypertension artérielle (HTA), diabète, maladie cardiovasculaire (MCV) préexistante, obésité et tabagisme. Dans une série chinoise de 1100 patients hospitalisés, on notait 15% d’HTA, 20% de diabète et 15% de MCV. Dans des maisons de repos et de soin américaines, il y avait 67% d’HTA, 31% de diabète, 60% de MCV et 40% de maladies rénales. En Belgique, dans les MRS et les unités de soins intensifs, les MCV sont présentes dans plus de la moitié des cas et 30% des patients ont au moins deux comorbidités.
Voici la statistique la plus complète provenant d’une base de données internationales « ISARIC ». A la date du 8 juin 2020, sur 42656 cas confirmés de Covid-19 suivis pendant au moins 14 jours, on dénombrait (par ordre de fréquence décroissante) : 45% d’HTA, 29% de MCV chronique, 17% de diabète, 16% de maladie pulmonaire chronique, 16% de maladie rénale chronique, 11% d’obésité.
Le facteur « tabac » mérite une mention particulière. Une observation inattendue fut le fait que les fumeurs semblaient moins souvent hospitalisés pour infection par la Covid-19. Une étude française rapportait que chez 343 patients hospitalisés « seulement » 4,4% étaient des fumeurs. Chez 139 patients traités à domicile, « seulement » 5,3% étaient fumeurs. On s’est demandé si la nicotine (par le biais de l’acide nicotinique ?) pourrait protéger contre l’infection. Le doute est venu de l’absence de confirmation de ces résultats et de l’existence de possible conflit d’intérêt de l’auteur principal de l’étude ! La position des instances officielles, dont l’OMS, c’est que le tabagisme augmente plutôt la gravité des symptômes et le risque de décès chez les patients contaminés. Cela n’étonne guère quand on connait les effets délétères de la cigarette qui produit des lésions de l’appareil pulmonaire et une baisse de l’immunité pulmonaire…
Patients cardiaques : prenez soin de vous !
Les personnes avec risque cardiovasculaire élevé et les patients cardiaques doivent donc être particulièrement vigilants dans l’application des mesures de prévention visant à éviter la contamination.
Chez les patients hypertendus qui ont contracté la Covid-19, on s’est posé la question du maintien ou de l’arrêt du traitement par médicaments qui interfèrent avec le système de l’angiotensine II. En effet, c’est par la voie des récepteurs de cette enzyme que le virus pénètre dans les cellules. Rapidement, il fut bien établi qu’il est préférable de continuer le traitement et ce conseil fut d’application dès le début de l’épidémie.
Une autre préoccupation vient du faible nombre de cas d’infarctus et d’AVC hospitalisés pendant la période de confinement qui vient de s’achever. Il se pourrait que nombre de patients n’ont pas osé se rendre à l’hôpital de peur d’y être infectés d’autant plus que beaucoup de consultations programmées mais non urgentes avaient été supprimées. Il faut donc insister sur l’absolue nécessité d’appeler rapidement les services de santé en cas de suspicion d’infarctus ou d’AVC, sans crainte d’une hospitalisation où toutes les mesures ont été prises dès le départ pour séparer les circuits Covid-19 et non-Covid-19 !
Conclusion : restons sur nos gardes !
La pandémie n’est pas terminée…Dans l’attente d’un vaccin et de médicaments antiviraux efficaces, il importe de maintenir les gestes de prévention qui sont d’autant plus importants chez les personnes à risque, les personnes âgées, celles avec facteurs de risque cardiovasculaire et diverses comorbidités. Ce seront également ces mêmes catégories qui devraient avoir priorité pour l’accès au vaccin quand il sera disponible.